Maxence Gaillard

« La culture, c’est ce qui reste »

Après Jules Renard dans Et si on ne se mentait plus ?, c'est d'une autre figure historique, celle de Louis Blériot, que le comédien Maxence Gaillard s'empare pour raconter la folle histoire de la première traversée de la Manche par les airs dans Le Roi des pâquerettes, créé cet été au Festival OFF d'Avignon. Entre son engagement pour une culture plus accessible et attractive, il se penche avec nous sur la création du spectacle et son personnage.

« Le théâtre doit rester un lieu de vie, un miroir de la société... »

En quoi le théâtre est-il essentiel aujourd’hui ?

Parce que le théâtre est un concentré d’émotions, un cocktail détonnant de vie et à mon avis l’un des meilleurs remèdes à l’apathie sociale et culturelle subie depuis un an. Mais surtout parce que le théâtre est un lieu de rencontre. Le genre de rencontre indispensable qui élève collectivement l’âme et le cœur. Et la très bonne nouvelle, c’est que le théâtre se marie idéalement avec une bande de potes et un bon resto !

Comment voyez-vous le théâtre demain ?

Comme hier ! Depuis plus d’un an que nous sommes à l'arrêt, j'entends beaucoup chercher à dessiner le "théâtre de demain". Cette réflexion est déterminante pour ne pas s’éloigner des aspirations du public qui évoluent au fil du temps. Mais l’essence du théâtre pour moi reste la même, comme Claudel le dit au théâtre, « il arrive quelque chose sur la scène, comme si c’était vrai ». Le théâtre doit rester un lieu de vie, un miroir de la société.

Votre définition de la culture ?

En lisant des notes de mon grand-père pendant le confinement, je suis tombé sur cette citation qui dit que la "culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié". Jean Vilar dit "qu’au contraire, c’est ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné". Ce que j’en conclus, c’est que la culture, c’est ce qui reste.

La culture, comme l’éducation, c’est la partie immergée de l’iceberg. Celle qu’on ne voit pas, qui fait qu’une personne est ancrée en profondeur et sur laquelle repose ce qu’est l’être. C’est pourquoi je trouve terrible de voir la jeunesse et l’accès à la culture sacrifiés, ou l’éducation des enfants négligée par des contenus mal contrôlés.

C’est évidemment une catastrophe sociale, mais les répercussions économiques et écologiques ne le sont pas moins. C’est notre responsabilité de rendre la culture accessible et attractive pour tous.

Notre responsabilité est ainsi de faire en sorte que le numérique soit au service du spectacle vivant sans chercher à s’y substituer.  To See Pro y apporte un début de réponse très prometteur en permettant d’optimiser la rencontre entre un spectacle et son public.

Vos batailles pour la culture ?

Je travaille, à travers un fonds d’investissement créé en famille, en tant qu’investisseur privé, notamment en private equity. J’essaie de plus en plus de cibler le secteur culturel dont je découvre petit à petit les besoins. Remplir les lieux culturels me paraît un de nos grands défis.

Nous avons par exemple récemment investi dans la plateforme numérique d’aide à la diffusion des spectacles To See Pro, créée par Pierre Beffeyte. Je crois que le défi qui nous attend, en tant qu’acteur de la culture, est de ne pas se laisser dépasser par un monde tourné vers le digital, de façon exponentielle et particulièrement à travers la crise sanitaire. Notre responsabilité est ainsi de faire en sorte que le numérique soit au service du spectacle vivant sans chercher à s’y substituer. To See Pro y apporte un début de réponse très prometteur en permettant d’optimiser la rencontre entre un spectacle et son public.

Qu'est-ce qui vous a fait aimer, choisir le théâtre ?

Rien ne m’y prédestinait, au contraire. Mais j’ai eu la chance d’aller très jeune, en famille, au festival de théâtre de Grignan et au festival d’Avignon. J’y ai découvert que le théâtre était une fête, pour les spectateurs comme pour les acteurs. Un lieu de vie qui rend heureux des deux côtés du rideau. J’y ai finalement goûté assez jeune, mais mon parcours universitaire m’a conduit à pousser loin mes études sans trop me poser de questions. Après des expériences professionnelles de conseil et de management, pourtant fructueuses, je suis reparti à zéro à 27 ans. Parce que j’ai compris qu’avoir envie de se lever le matin pour travailler, ça n’a pas de prix. "Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie."

Une rencontre artistique décisive ?

Ma rencontre avec Jean-Laurent Cochet, professeur d’art dramatique, a été déterminante. Après ma démission c’est lors d’un stage dans son cours que j’ai fait sa connaissance. Son exigence et son approche technique du théâtre, centrées sur les textes et la pensée, me sont apparues comme l’évidence que je cherchais. C’est lui qui m’a poussé à faire ce métier. Je lui dois aussi ma rencontre décisive avec Raphaëlle Cambray, qui m’a formé, dirigé et qui continue de m’accompagner.

Un personnage fétiche ?

J’ai toujours eu un attachement pour Charles VII, le petit roi de Bourges de L’Alouette de Jean Anouilh. Cet homme, un peu pathétique, est extrêmement touchant et inspirant ! Je lui trouve une fragilité très profonde et en même temps pleine d’humour. Et finalement beaucoup de courage.

Bande-annonce "Le Roi des pâquerettes" © Atelier Théâtre Actuel
Bande-annonce "Le Roi des pâquerettes" © Atelier Théâtre Actuel

« C’est une pièce qui raconte les quelques heures qui ont précédé la traversée de la Manche par Louis Blériot... »

Quel a été le déclencheur de ce projet Le Roi des pâquerettes ?

Bérangère Gallot, qui a coécrit la pièce avec Sophie Nicollas, a eu cette idée lors d’une visite au musée des Arts et Métiers. Elle s’est retrouvée face à face avec le "Blériot XI", l’aéroplane avec lequel Louis Blériot a traversé la Manche le 25 juillet 1909. Après échanges et recherches, elles se sont aperçues qu’aussi retentissant et historique fut cet événement, il n’avait jamais été porté sur une scène de théâtre. Et je crois que c’était un manque important à combler ! Un hommage à ces pionniers extraordinaires de l’aviation qui ont bouleversé notre rapport au monde, à l’espace et au temps.

Vous partagez la scène avec certains de vos camarades du collectif Les inspirés que vous avez créé pour produire Et si on ne se mentait plus ?, qu’est-ce que cela vous “inspire” ?

Cela m’inspire surtout de la simplicité et de la fluidité au plateau ! C’est le hasard des emplois des personnages sur Le Roi des Pâquerettes qui nous a réunis en tant qu’acteurs. Nous avons joué près de 300 fois Et si on ne se mentait plus ? avant l’arrêt brutal du premier confinement, donc nous nous comprenons évidemment plus facilement sur scène.

Mais je dois dire que c’est surtout très agréable de repartager un plateau avec une femme ! Surtout pour profiter de tout le talent et l’expérience de Lauriane Lacaze qui joue Alicia Blériot.

Est-ce une histoire vraie, une fiction, un docu-fiction ?

C’est la petite histoire en partie fictive habilement distillée dans la grande Histoire vraie ! C’est une pièce qui raconte les quelques heures qui ont précédé la traversée de la Manche par Blériot. Si le récit de la traversée est raconté tel quel (par Blériot, son épouse Alicia, son rival Latham, son mécanicien Collin et le journaliste témoin du vol Fontaine), Bérangère et Sophie se sont amusées à imaginer ce qui a pu se passer dans la nuit avant le décollage à 4h30 du matin. Elles ont fait un important travail de recherches historiques, alors même si on a aucune certitude sur ce qui s’est réellement passé entre 23h et 4h, l’essentiel des propos rapportés sont le reflet de la réalité !

Blériot qui traverse la Manche en 1909, c’est comme Christophe Colomb qui découvre l’Amérique, ou Thomas Pesquet qui pose un pied sur Mars !

Dans quelle(s) direction(s) le metteur en scène Benoît Lavigne vous a t’il dirigé ?

Avec cette traversée, le monde a définitivement changé. C’est au service de cette représentation de l’histoire que Benoît, avec Sophie notre chorégraphe qui l'assiste à la mise en scène, nous a poussés dans le travail. La réussite de la pièce réside dans notre capacité à faire transparaître l’importance de l’enjeu.

Et le symbole de cet enjeu c’est la folie du personnage de Louis Blériot. En tout cas la folie dans ce qu’elle comporte de créativité, de courage, d’audace, de génie et de doutes. Sa relation avec sa femme, indispensable à la réussite de l’entreprise, et les dimensions humaines, amoureuses et familiales qui existent sous cet exploit sont autant d’éléments qui viennent servir la compréhension de l’enjeu par le spectateur.

Car traverser la Manche en aéroplane, c’est faire entrer l’Humanité dans une nouvelle ère ; mais c’est aussi prendre le risque de sa vie et de ceux qui l’entourent. Tout ça crée un bel équilibre entre drame et comédie d’aventure.

La conquête du ciel, la compétition, aller plus loin encore, en quoi ces thématiques résonnent avec notre époque ? 

Le retentissement de la traversée de la Manche a secoué le monde entier ! Des centaines de milliers de personnes ont accueilli Blériot à Paris. Il est considéré comme le 1er des cinq héros de la conquête de l’air, le 5ème étant un certain Neil Armstrong, c’est dire la portée de son exploit. Mais finalement, Blériot qui traverse la Manche en 1909, c’est comme Christophe Colomb qui découvre l’Amérique, ou Thomas Pesquet qui pose un pied sur Mars ! Des conquérants il y en a eu hier, il y en aura demain. L’homme pourrait se contenter de faire connaissance avec ses voisins, y aurait de quoi faire… mais le progrès et le pouvoir par la conquête sont constitutifs de beaucoup d’humains. Viser plus loin, plus haut et plus vite.

La pièce raconte une épopée intime mais elle met aussi au centre la petite histoire dans la grande histoire. Est-ce un pur hasard ou est-ce que vous aimez les figures historiques, comme celles incarnées dans votre précédente création ?

Je ne crois pas trop au hasard, mais il n’y avait en tout cas rien de prémédité ! Et si c’est du hasard, il fait bien les choses car c’est vrai que j’aime le travail qu’il y a derrière les personnages historiques. La liberté dans les contraintes, c’est ce qu’on cherche sur un plateau et plus encore quand celles-ci nous sont imposées par une nécessaire fidélité à la grande Histoire.

L’avantage avec Jules Renard, que je joue dans Et si on ne se mentait plus ?, ou Louis Blériot, c’est qu’il y a beaucoup de choses à lire et voir sur eux. Cela facilite l’approche du personnage. La difficulté c’est ensuite de leur rester fidèle sans chercher à les copier. D’y mettre ce qu’on est sans les trahir. Et c’est là où la petite histoire, celle plus quotidienne et propre au travail de nos auteurs, permet cette latitude d’apport personnel. C’est le rôle ensuite du metteur en scène de nous faire marcher, en tant qu’acteur, sur un fil sans tomber dans un excès ou un autre.

La volonté de Benoît, avec la formidable équipe artistique du projet, a été de retranscrire l’atmosphère et l’esprit de la Belle Époque [...] Les décors d’Angéline et les costumes de Virginie nous plongent dans cette époque, et j’avoue qu’en tant qu’acteur c’est un régal.

Qui est réellement ce Louis Blériot ? Quels sont les rapports qu’il entretient avec son rival Hubert Latham ?

C’est d’abord un visionnaire, il fait partie des premiers à avoir compris qu’il fallait être plus lourd que l’air pour voler. Et c’était tellement absurde pour ses contemporains, qu’il a dû faire preuve d’une grande constance dans sa foi et sa conviction. Ingénieur de l’école Centrale et entrepreneur à succès, il a sacrifié sa vie et sa fortune à l’aviation. C’est enfin un homme de génie, dans ce qu’il a de plus fou et d’irrationnel parfois. Le Roi des pâquerettes, c’est l’homme qui est tombé 32 fois, a souvent frôlé la mort et est pourtant reparti dans le ciel pour faire partie de ces précurseurs qui auront réalisé un rêve vieux comme le monde : voler.

Hubert Latham, son rival dans la traversée, est son opposé, un sportsman, un jouisseur ! Il n’en reste pas moins l’un des plus grands pilotes parmi ces pionniers, certainement l’un des plus naturellement doué. Ils sont très peu à pouvoir maîtriser ces machines volantes à cette époque : le respect et une folie commune caractérisent donc leur relation. Latham est l’autre pilote qui a tenté la traversée quelques jours avant Blériot, sans succès mais il s’apprête à repartir, ce que le futur héros ne peut accepter…

Quelle place occupe la scénographie dans ce projet ? Qu’en est-il de la création visuelle et sonore ?

La volonté de Benoît, avec la formidable équipe artistique du projet, a été de retranscrire l’atmosphère et l’esprit de la Belle Époque ! Elle est emblématique et représentative de cet événement hors norme. On parle du début du XXème siècle où tant de choses se sont jouées, particulièrement en France. Les décors d’Angéline et les costumes de Virginie nous plongent dans cette époque, et j’avoue qu’en tant qu’acteur c’est un régal. Mais au-delà d’une époque, c’est une épopée dont il est question ! Les lumières et la bande son de Denis et Michel viennent sublimer ce travail pour faire revivre les tensions, l’atmosphère parfois hors du temps et l’excitation de la traversée.

Quels sont vos prochains projets ?

La Covid aura eu le mérite de me donner du temps pour apprendre à vivre dans la joie de l’instant présent. Mon prochain projet c’est donc déjà de voir la concrétisation de ceux du moment : une création du Roi des Pâquerettes en juillet au théâtre du Roi René, lors du Festival OFF d'Avignon, et une reprise à Paris au théâtre du Lucernaire à la rentrée prochaine. Et la fin de la tournée de Et si on ne se mentait plus ? au printemps 2022, après l’arrêt brutal de celle-ci le 13 mars 2020 !

« Je propose à Emmanuel Macron... »

Une confidence ?

Je suis en train de passer ma licence de pilote d’avion.

Un acte de résistance ?

Supprimer les réseaux sociaux de son téléphone !

Un signe particulier ?

On ne me fait jouer que des moustachus. Ceci est un appel à l’aide !

Un message personnel ?

Je propose à Emmanuel Macron et Jean Castex de s’enfermer dans une pièce, sans avoir le droit de travailler ou de se déplacer. Et on fait le bilan dans 14 mois. Quoi qu’il en coûte.

Un talent à suivre ?

Nicolas Poli, Lou Lefèvre et Julia Gallaux.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Que je ne suis pas juste ou pas honnête. Ou pire, que je suis les deux.

« Avec... »

...Art de Yasmina Reza, j’ai eu envie de devenir comédien.

...la Valse n°9 de Chopin, j’ai compris que la beauté sauverait le monde.

...Will Hunting de Gus Van Sant, j'ai appris que travail, talent et patience font bon ménage.

...La Horse de Pierre Granier-Deferre, j’ai décidé de me faire l’intégral des films de Gabin, puis Blier, puis Audiard, puis de Funès, puis…

...la Diamond Chair d’Harry Bertoia et le canapé Barcelona de Ludwig Mies van der Rohe, j’ai découvert qu’un objet pouvait être utile et beau.

...Traverser la rivière sous la pluie du Collectif 2222, j’ai éprouvé la magie du corps et de l’inflexion.

...La leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, j’ai goûté au pouvoir émotionnel de la peinture.

« Mon message au public... »

Décollage imminent !

Publié le
25
.
05
.
2021
Par Jérôme Réveillère

Après Jules Renard dans Et si on ne se mentait plus ?, c'est d'une autre figure historique, celle de Louis Blériot, que le comédien Maxence Gaillard s'empare pour raconter la folle histoire de la première traversée de la Manche par les airs dans Le Roi des pâquerettes, créé cet été au Festival OFF d'Avignon. Entre son engagement pour une culture plus accessible et attractive, il se penche avec nous sur la création du spectacle et son personnage.

Photo © Hélen d'Argentré

« Le théâtre doit rester un lieu de vie, un miroir de la société... »

En quoi le théâtre est-il essentiel aujourd’hui ?

Parce que le théâtre est un concentré d’émotions, un cocktail détonnant de vie et à mon avis l’un des meilleurs remèdes à l’apathie sociale et culturelle subie depuis un an. Mais surtout parce que le théâtre est un lieu de rencontre. Le genre de rencontre indispensable qui élève collectivement l’âme et le cœur. Et la très bonne nouvelle, c’est que le théâtre se marie idéalement avec une bande de potes et un bon resto !

Comment voyez-vous le théâtre demain ?

Comme hier ! Depuis plus d’un an que nous sommes à l'arrêt, j'entends beaucoup chercher à dessiner le "théâtre de demain". Cette réflexion est déterminante pour ne pas s’éloigner des aspirations du public qui évoluent au fil du temps. Mais l’essence du théâtre pour moi reste la même, comme Claudel le dit au théâtre, « il arrive quelque chose sur la scène, comme si c’était vrai ». Le théâtre doit rester un lieu de vie, un miroir de la société.

Votre définition de la culture ?

En lisant des notes de mon grand-père pendant le confinement, je suis tombé sur cette citation qui dit que la "culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié". Jean Vilar dit "qu’au contraire, c’est ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné". Ce que j’en conclus, c’est que la culture, c’est ce qui reste.

La culture, comme l’éducation, c’est la partie immergée de l’iceberg. Celle qu’on ne voit pas, qui fait qu’une personne est ancrée en profondeur et sur laquelle repose ce qu’est l’être. C’est pourquoi je trouve terrible de voir la jeunesse et l’accès à la culture sacrifiés, ou l’éducation des enfants négligée par des contenus mal contrôlés.

C’est évidemment une catastrophe sociale, mais les répercussions économiques et écologiques ne le sont pas moins. C’est notre responsabilité de rendre la culture accessible et attractive pour tous.

Notre responsabilité est ainsi de faire en sorte que le numérique soit au service du spectacle vivant sans chercher à s’y substituer.  To See Pro y apporte un début de réponse très prometteur en permettant d’optimiser la rencontre entre un spectacle et son public.

Vos batailles pour la culture ?

Je travaille, à travers un fonds d’investissement créé en famille, en tant qu’investisseur privé, notamment en private equity. J’essaie de plus en plus de cibler le secteur culturel dont je découvre petit à petit les besoins. Remplir les lieux culturels me paraît un de nos grands défis.

Nous avons par exemple récemment investi dans la plateforme numérique d’aide à la diffusion des spectacles To See Pro, créée par Pierre Beffeyte. Je crois que le défi qui nous attend, en tant qu’acteur de la culture, est de ne pas se laisser dépasser par un monde tourné vers le digital, de façon exponentielle et particulièrement à travers la crise sanitaire. Notre responsabilité est ainsi de faire en sorte que le numérique soit au service du spectacle vivant sans chercher à s’y substituer. To See Pro y apporte un début de réponse très prometteur en permettant d’optimiser la rencontre entre un spectacle et son public.

Qu'est-ce qui vous a fait aimer, choisir le théâtre ?

Rien ne m’y prédestinait, au contraire. Mais j’ai eu la chance d’aller très jeune, en famille, au festival de théâtre de Grignan et au festival d’Avignon. J’y ai découvert que le théâtre était une fête, pour les spectateurs comme pour les acteurs. Un lieu de vie qui rend heureux des deux côtés du rideau. J’y ai finalement goûté assez jeune, mais mon parcours universitaire m’a conduit à pousser loin mes études sans trop me poser de questions. Après des expériences professionnelles de conseil et de management, pourtant fructueuses, je suis reparti à zéro à 27 ans. Parce que j’ai compris qu’avoir envie de se lever le matin pour travailler, ça n’a pas de prix. "Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie."

Une rencontre artistique décisive ?

Ma rencontre avec Jean-Laurent Cochet, professeur d’art dramatique, a été déterminante. Après ma démission c’est lors d’un stage dans son cours que j’ai fait sa connaissance. Son exigence et son approche technique du théâtre, centrées sur les textes et la pensée, me sont apparues comme l’évidence que je cherchais. C’est lui qui m’a poussé à faire ce métier. Je lui dois aussi ma rencontre décisive avec Raphaëlle Cambray, qui m’a formé, dirigé et qui continue de m’accompagner.

Un personnage fétiche ?

J’ai toujours eu un attachement pour Charles VII, le petit roi de Bourges de L’Alouette de Jean Anouilh. Cet homme, un peu pathétique, est extrêmement touchant et inspirant ! Je lui trouve une fragilité très profonde et en même temps pleine d’humour. Et finalement beaucoup de courage.

Bande-annonce "Le Roi des pâquerettes" © Atelier Théâtre Actuel
Bande-annonce "Le Roi des pâquerettes" © Atelier Théâtre Actuel

« C’est une pièce qui raconte les quelques heures qui ont précédé la traversée de la Manche par Louis Blériot... »

Quel a été le déclencheur de ce projet Le Roi des pâquerettes ?

Bérangère Gallot, qui a coécrit la pièce avec Sophie Nicollas, a eu cette idée lors d’une visite au musée des Arts et Métiers. Elle s’est retrouvée face à face avec le "Blériot XI", l’aéroplane avec lequel Louis Blériot a traversé la Manche le 25 juillet 1909. Après échanges et recherches, elles se sont aperçues qu’aussi retentissant et historique fut cet événement, il n’avait jamais été porté sur une scène de théâtre. Et je crois que c’était un manque important à combler ! Un hommage à ces pionniers extraordinaires de l’aviation qui ont bouleversé notre rapport au monde, à l’espace et au temps.

Vous partagez la scène avec certains de vos camarades du collectif Les inspirés que vous avez créé pour produire Et si on ne se mentait plus ?, qu’est-ce que cela vous “inspire” ?

Cela m’inspire surtout de la simplicité et de la fluidité au plateau ! C’est le hasard des emplois des personnages sur Le Roi des Pâquerettes qui nous a réunis en tant qu’acteurs. Nous avons joué près de 300 fois Et si on ne se mentait plus ? avant l’arrêt brutal du premier confinement, donc nous nous comprenons évidemment plus facilement sur scène.

Mais je dois dire que c’est surtout très agréable de repartager un plateau avec une femme ! Surtout pour profiter de tout le talent et l’expérience de Lauriane Lacaze qui joue Alicia Blériot.

Est-ce une histoire vraie, une fiction, un docu-fiction ?

C’est la petite histoire en partie fictive habilement distillée dans la grande Histoire vraie ! C’est une pièce qui raconte les quelques heures qui ont précédé la traversée de la Manche par Blériot. Si le récit de la traversée est raconté tel quel (par Blériot, son épouse Alicia, son rival Latham, son mécanicien Collin et le journaliste témoin du vol Fontaine), Bérangère et Sophie se sont amusées à imaginer ce qui a pu se passer dans la nuit avant le décollage à 4h30 du matin. Elles ont fait un important travail de recherches historiques, alors même si on a aucune certitude sur ce qui s’est réellement passé entre 23h et 4h, l’essentiel des propos rapportés sont le reflet de la réalité !

Blériot qui traverse la Manche en 1909, c’est comme Christophe Colomb qui découvre l’Amérique, ou Thomas Pesquet qui pose un pied sur Mars !

Dans quelle(s) direction(s) le metteur en scène Benoît Lavigne vous a t’il dirigé ?

Avec cette traversée, le monde a définitivement changé. C’est au service de cette représentation de l’histoire que Benoît, avec Sophie notre chorégraphe qui l'assiste à la mise en scène, nous a poussés dans le travail. La réussite de la pièce réside dans notre capacité à faire transparaître l’importance de l’enjeu.

Et le symbole de cet enjeu c’est la folie du personnage de Louis Blériot. En tout cas la folie dans ce qu’elle comporte de créativité, de courage, d’audace, de génie et de doutes. Sa relation avec sa femme, indispensable à la réussite de l’entreprise, et les dimensions humaines, amoureuses et familiales qui existent sous cet exploit sont autant d’éléments qui viennent servir la compréhension de l’enjeu par le spectateur.

Car traverser la Manche en aéroplane, c’est faire entrer l’Humanité dans une nouvelle ère ; mais c’est aussi prendre le risque de sa vie et de ceux qui l’entourent. Tout ça crée un bel équilibre entre drame et comédie d’aventure.

La conquête du ciel, la compétition, aller plus loin encore, en quoi ces thématiques résonnent avec notre époque ? 

Le retentissement de la traversée de la Manche a secoué le monde entier ! Des centaines de milliers de personnes ont accueilli Blériot à Paris. Il est considéré comme le 1er des cinq héros de la conquête de l’air, le 5ème étant un certain Neil Armstrong, c’est dire la portée de son exploit. Mais finalement, Blériot qui traverse la Manche en 1909, c’est comme Christophe Colomb qui découvre l’Amérique, ou Thomas Pesquet qui pose un pied sur Mars ! Des conquérants il y en a eu hier, il y en aura demain. L’homme pourrait se contenter de faire connaissance avec ses voisins, y aurait de quoi faire… mais le progrès et le pouvoir par la conquête sont constitutifs de beaucoup d’humains. Viser plus loin, plus haut et plus vite.

La pièce raconte une épopée intime mais elle met aussi au centre la petite histoire dans la grande histoire. Est-ce un pur hasard ou est-ce que vous aimez les figures historiques, comme celles incarnées dans votre précédente création ?

Je ne crois pas trop au hasard, mais il n’y avait en tout cas rien de prémédité ! Et si c’est du hasard, il fait bien les choses car c’est vrai que j’aime le travail qu’il y a derrière les personnages historiques. La liberté dans les contraintes, c’est ce qu’on cherche sur un plateau et plus encore quand celles-ci nous sont imposées par une nécessaire fidélité à la grande Histoire.

L’avantage avec Jules Renard, que je joue dans Et si on ne se mentait plus ?, ou Louis Blériot, c’est qu’il y a beaucoup de choses à lire et voir sur eux. Cela facilite l’approche du personnage. La difficulté c’est ensuite de leur rester fidèle sans chercher à les copier. D’y mettre ce qu’on est sans les trahir. Et c’est là où la petite histoire, celle plus quotidienne et propre au travail de nos auteurs, permet cette latitude d’apport personnel. C’est le rôle ensuite du metteur en scène de nous faire marcher, en tant qu’acteur, sur un fil sans tomber dans un excès ou un autre.

La volonté de Benoît, avec la formidable équipe artistique du projet, a été de retranscrire l’atmosphère et l’esprit de la Belle Époque [...] Les décors d’Angéline et les costumes de Virginie nous plongent dans cette époque, et j’avoue qu’en tant qu’acteur c’est un régal.

Qui est réellement ce Louis Blériot ? Quels sont les rapports qu’il entretient avec son rival Hubert Latham ?

C’est d’abord un visionnaire, il fait partie des premiers à avoir compris qu’il fallait être plus lourd que l’air pour voler. Et c’était tellement absurde pour ses contemporains, qu’il a dû faire preuve d’une grande constance dans sa foi et sa conviction. Ingénieur de l’école Centrale et entrepreneur à succès, il a sacrifié sa vie et sa fortune à l’aviation. C’est enfin un homme de génie, dans ce qu’il a de plus fou et d’irrationnel parfois. Le Roi des pâquerettes, c’est l’homme qui est tombé 32 fois, a souvent frôlé la mort et est pourtant reparti dans le ciel pour faire partie de ces précurseurs qui auront réalisé un rêve vieux comme le monde : voler.

Hubert Latham, son rival dans la traversée, est son opposé, un sportsman, un jouisseur ! Il n’en reste pas moins l’un des plus grands pilotes parmi ces pionniers, certainement l’un des plus naturellement doué. Ils sont très peu à pouvoir maîtriser ces machines volantes à cette époque : le respect et une folie commune caractérisent donc leur relation. Latham est l’autre pilote qui a tenté la traversée quelques jours avant Blériot, sans succès mais il s’apprête à repartir, ce que le futur héros ne peut accepter…

Quelle place occupe la scénographie dans ce projet ? Qu’en est-il de la création visuelle et sonore ?

La volonté de Benoît, avec la formidable équipe artistique du projet, a été de retranscrire l’atmosphère et l’esprit de la Belle Époque ! Elle est emblématique et représentative de cet événement hors norme. On parle du début du XXème siècle où tant de choses se sont jouées, particulièrement en France. Les décors d’Angéline et les costumes de Virginie nous plongent dans cette époque, et j’avoue qu’en tant qu’acteur c’est un régal. Mais au-delà d’une époque, c’est une épopée dont il est question ! Les lumières et la bande son de Denis et Michel viennent sublimer ce travail pour faire revivre les tensions, l’atmosphère parfois hors du temps et l’excitation de la traversée.

Quels sont vos prochains projets ?

La Covid aura eu le mérite de me donner du temps pour apprendre à vivre dans la joie de l’instant présent. Mon prochain projet c’est donc déjà de voir la concrétisation de ceux du moment : une création du Roi des Pâquerettes en juillet au théâtre du Roi René, lors du Festival OFF d'Avignon, et une reprise à Paris au théâtre du Lucernaire à la rentrée prochaine. Et la fin de la tournée de Et si on ne se mentait plus ? au printemps 2022, après l’arrêt brutal de celle-ci le 13 mars 2020 !

« Je propose à Emmanuel Macron... »

Une confidence ?

Je suis en train de passer ma licence de pilote d’avion.

Un acte de résistance ?

Supprimer les réseaux sociaux de son téléphone !

Un signe particulier ?

On ne me fait jouer que des moustachus. Ceci est un appel à l’aide !

Un message personnel ?

Je propose à Emmanuel Macron et Jean Castex de s’enfermer dans une pièce, sans avoir le droit de travailler ou de se déplacer. Et on fait le bilan dans 14 mois. Quoi qu’il en coûte.

Un talent à suivre ?

Nicolas Poli, Lou Lefèvre et Julia Gallaux.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Que je ne suis pas juste ou pas honnête. Ou pire, que je suis les deux.

« Avec... »

...Art de Yasmina Reza, j’ai eu envie de devenir comédien.

...la Valse n°9 de Chopin, j’ai compris que la beauté sauverait le monde.

...Will Hunting de Gus Van Sant, j'ai appris que travail, talent et patience font bon ménage.

...La Horse de Pierre Granier-Deferre, j’ai décidé de me faire l’intégral des films de Gabin, puis Blier, puis Audiard, puis de Funès, puis…

...la Diamond Chair d’Harry Bertoia et le canapé Barcelona de Ludwig Mies van der Rohe, j’ai découvert qu’un objet pouvait être utile et beau.

...Traverser la rivière sous la pluie du Collectif 2222, j’ai éprouvé la magie du corps et de l’inflexion.

...La leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, j’ai goûté au pouvoir émotionnel de la peinture.

« Mon message au public... »

Décollage imminent !