David Brécourt

« Christophe Gand m’a amené vers la douceur, vers le calme... »

À quelques jours de la fin du Festival Off d'Avignon, l'acteur David Brécourt revient sur sa rencontre artistique avec le metteur en scène Christophe Gand et son personnage narrateur dans En ce temps-là, l'amour... actuellement au Théâtre La Luna. Un rôle qui le révèle à lui-même et lui donne l'opportunité de déployer toutes ses capacités d'acteur dramatique. Rencontre dans la cour ombragée du Théâtre Buffon, là où tout a commencé.

« Il y a tout dans ce texte et il y a tout ce que j’aime dans la vie : l’amour, la liberté, l’humour... »

Comment est né ce projet En ce temps-là, l'amour, de Gilles Segal et mis en scène par Christophe Gand (créé en 2019 au Au coin de la lune et actuellement au Théâtre La Luna) ?

Christophe Gand m’a proposé ce texte ici-même dans cette cour du Théâtre Buffon alors que je jouais Kamikazes de Stéphane Guérin. Il m’attendait à la fin d’une représentation et m’a dit : « Est-ce que je peux vous adresser la parole Monsieur ? ». Il m’a appelé « Monsieur ». Ce qui était déjà énorme. Il n’avait même pas encore trente ans. Il m’a parlé de cette pièce de Gilles Segal qu’il voulait monter, en me demandant si je voulais bien la lire. Il m’a dit que je serais parfait pour le rôle et en insistant aussi sur le fait que j’avais tout mon temps pour la lire, qu’il me laissait tout le mois et qu’on en reparlerait en septembre. Je l’ai lue évidemment deux heures après et j’ai été très ému par le texte, bouleversé. Je l’ai rappelé et je lui ai dit : on y va ! C’était parti. De cet auteur, je ne connaissais que la pièce qui lui avait offert un Molière, Monsieur Schpill et Monsieur Tippeton.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le parcours de ce personnage ?

Tellement de choses m’ont parlé et en premier lieu, la Shoah. C’est un fait d’histoire qui m’avait tellement marqué quand j’étais enfant, quand j’ai été en âge de comprendre ce qu’il s’était passé. Pourtant, ma famille n’a pas été confrontée de près… mais j’avais vu ce film avec Philippe Noiret et Romy Schneider Le Vieux Fusil, et à partir de là, j’ai posé et je me suis posé beaucoup de questions, je me suis documenté… Et puis lorsque Christophe m’a proposé ce rôle, je venais d’avoir un petit garçon, ce petit Mathurin de deux ans qui débarquait dans ma vie et forcément ce sont des questions qu’un père se pose : comment transmettre, comment inculquer. Il y a tout dans ce texte et il y a tout ce que j’aime dans la vie : l’amour, la liberté, l’humour. J’ai été extrêmement séduit par ce texte, de A à Z.

Vous incarnez un personnage qui raconte ce qu’il a vu et entendu et qui témoigne à son tour en nous transmettant cette parole. Qu'est-ce qui le motive à transmettre cette parole ?

Les déportés ont voulu raconter tout de suite ce qu’ils avaient vécu, enduré. À leur arrivée, on les a parqués au Lutetia ou ailleurs, mais personne ne les attendait. C’est ce que m’avait dit mon ex beau-père, et c’est ce qu’il a écrit dans son livre « personne ne m’aurait cru alors je me suis tu ». C’est un livre bouleversant et notamment le passage où il arrive au Bourget, où il va parler pour raconter qu’il vient de passer deux ans à Auschwitz et où il se rend compte que personne ne l’attend, personne n’attendait ces déportés à leur arrivée des camps. Et donc la plupart sont rentrés dans une espèce de mutisme total, comme Primo Levi… Ils se sont tus pendant trente ou quarante ans et puis à un moment donné, la charge est trop lourde, ça devient une nécessité de raconter. J’ai vécu ça de près puisque mon ex beau-père, Sam Braun, a transmis toute son histoire à ses enfants, qui eux la racontent à leur tour à leurs enfants.

En jouant ce spectacle, j’ai l’impression de servir à quelque chose. Je l’ai joué dans le gymnase d’un lycée devant trois cents jeunes et ils ont reçu ce texte, ce témoignage […] Il n’y avait pas un souffle dans la salle.

Est-ce que l’on peut parler de complicité, de jeu entre ce père et ce fils ? Et comment décririez-vous ce rapport ?

Sept jours dans un wagon à bestiaux… comme dans La Vie Est Belle de Roberto Benigni. Ce père fait tout pour détourner son fils de l’horreur qu’il est en train de vivre. Il va le faire rire, lui apprendre la vie, le faire rêver, lui faire faire ses devoirs que ce soit en français ou en maths, et même le marier. Il lui fait vivre pendant sept jours toute une vie. Disons quatre-vingts ans en sept jours. Mais ce temps, ces sept jours donc, sont aussi pour l’auteur la création du monde et les sept paroles du Christ. Tout résonne avec tout. C’est le voyage que l’on fait d’un point à l’autre, que ce soit dans un train en direction de la mort ou celui d’un cheminement intérieur. C’est initiatique et hélas historique.

La musique joue un rôle essentiel dans ce spectacle, comment s’accorde ce duo ?

Le compositeur Raphaël Sanchez s’accorde avec les acteurs. Il vient aux répétitions, tout à fait discrètement. Il se place dans un coin de la salle et il écoute. Il prend des notes. Il s’adapte au texte et aux comédiens. Les notes surgissent dans sa tête et il accompagne l’acteur au plateau. C’est un accompagnateur. Pour ce spectacle, il a écrit une partition magnifique, elle me porte tous les soirs, je joue avec.

Plus j’avançais vers la première, plus j’avais peur, j’avais aussi l’impression d’être en force et Christophe Gand m’a amené vers la douceur, vers le calme.

Pourquoi est-il essentiel aujourd’hui de faire entendre cette histoire ?

C’est un devoir de mémoire et en cela, j’espère que je jouerai ce texte le plus longtemps possible. En jouant ce spectacle, j’ai l’impression de servir à quelque chose. Je l’ai joué dans le gymnase d’un lycée devant trois cents jeunes et ils ont reçu ce texte, ce témoignage parce qu’ils y ont été préparés. Parce que leur professeur avait fait tout un travail en amont. Il n’y avait pas un souffle dans la salle. D’habitude, je ne m’adresse pas au public pour raconter cette histoire. Et là, tout à coup j’ai eu le besoin de leur raconter cette histoire à eux. Comme mon personnage qui raconte l’histoire à son fils. J’ai démarré, j’ai baissé les yeux et puis j’ai regardé le public. À partir de là, pendant toute la durée de la pièce, nous étions eux et moi les yeux dans les yeux, je leur ai transmis cette histoire. 

Dans quelle(s) direction(s) vous a dirigé(s) Christophe Gand ?

On est passés très vite au plateau et il m’a mis en confiance. Un seul en scène c’est compliqué. J’avais peur de le fatiguer, je répétais ce texte tout le temps, tout le temps. J’avais la sensation d’être en boucle, que le texte s’imprégnait en moi, qu’il me possédait d’une façon viscérale. Plus j’avançais vers la première, plus j’avais peur, j’avais aussi l’impression d’être en force et Christophe Gand m’a amené vers la douceur, vers le calme.

Bande-annonce de "En ce temps-là, l'amour..." © Prométhée Productions
Bande-annonce de "En ce temps-là, l'amour..." © Prométhée Productions

Une confidence ?

J’aimerais que tous les jeunes puissent entendre ce texte de Gilles Segal, En ce temps-là, l’amour...

Un acte de résistance ?

Tenir jusqu’à samedi au festival d’Avignon en espérant que le public soit au rendez-vous.  

Un signe particulier ?

Un petit baiser sur le nez de Molière avant de monter sur scène.

Un message personnel ?

Jean-Pierre Bouvier est un immense acteur.

Un talent à suivre ?

Christophe Gand, mon metteur en scène.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

David Brécourt, il n'est vraiment pas bon.

Un message pour le public ?

Un grand merci.


Publié le
26
.
07
.
2021
Par Jérôme Réveillère

À quelques jours de la fin du Festival Off d'Avignon, l'acteur David Brécourt revient sur sa rencontre artistique avec le metteur en scène Christophe Gand et son personnage narrateur dans En ce temps-là, l'amour... actuellement au Théâtre La Luna. Un rôle qui le révèle à lui-même et lui donne l'opportunité de déployer toutes ses capacités d'acteur dramatique. Rencontre dans la cour ombragée du Théâtre Buffon, là où tout a commencé.

Photo © Simon Larvaron

« Il y a tout dans ce texte et il y a tout ce que j’aime dans la vie : l’amour, la liberté, l’humour... »

Comment est né ce projet En ce temps-là, l'amour, de Gilles Segal et mis en scène par Christophe Gand (créé en 2019 au Au coin de la lune et actuellement au Théâtre La Luna) ?

Christophe Gand m’a proposé ce texte ici-même dans cette cour du Théâtre Buffon alors que je jouais Kamikazes de Stéphane Guérin. Il m’attendait à la fin d’une représentation et m’a dit : « Est-ce que je peux vous adresser la parole Monsieur ? ». Il m’a appelé « Monsieur ». Ce qui était déjà énorme. Il n’avait même pas encore trente ans. Il m’a parlé de cette pièce de Gilles Segal qu’il voulait monter, en me demandant si je voulais bien la lire. Il m’a dit que je serais parfait pour le rôle et en insistant aussi sur le fait que j’avais tout mon temps pour la lire, qu’il me laissait tout le mois et qu’on en reparlerait en septembre. Je l’ai lue évidemment deux heures après et j’ai été très ému par le texte, bouleversé. Je l’ai rappelé et je lui ai dit : on y va ! C’était parti. De cet auteur, je ne connaissais que la pièce qui lui avait offert un Molière, Monsieur Schpill et Monsieur Tippeton.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le parcours de ce personnage ?

Tellement de choses m’ont parlé et en premier lieu, la Shoah. C’est un fait d’histoire qui m’avait tellement marqué quand j’étais enfant, quand j’ai été en âge de comprendre ce qu’il s’était passé. Pourtant, ma famille n’a pas été confrontée de près… mais j’avais vu ce film avec Philippe Noiret et Romy Schneider Le Vieux Fusil, et à partir de là, j’ai posé et je me suis posé beaucoup de questions, je me suis documenté… Et puis lorsque Christophe m’a proposé ce rôle, je venais d’avoir un petit garçon, ce petit Mathurin de deux ans qui débarquait dans ma vie et forcément ce sont des questions qu’un père se pose : comment transmettre, comment inculquer. Il y a tout dans ce texte et il y a tout ce que j’aime dans la vie : l’amour, la liberté, l’humour. J’ai été extrêmement séduit par ce texte, de A à Z.

Vous incarnez un personnage qui raconte ce qu’il a vu et entendu et qui témoigne à son tour en nous transmettant cette parole. Qu'est-ce qui le motive à transmettre cette parole ?

Les déportés ont voulu raconter tout de suite ce qu’ils avaient vécu, enduré. À leur arrivée, on les a parqués au Lutetia ou ailleurs, mais personne ne les attendait. C’est ce que m’avait dit mon ex beau-père, et c’est ce qu’il a écrit dans son livre « personne ne m’aurait cru alors je me suis tu ». C’est un livre bouleversant et notamment le passage où il arrive au Bourget, où il va parler pour raconter qu’il vient de passer deux ans à Auschwitz et où il se rend compte que personne ne l’attend, personne n’attendait ces déportés à leur arrivée des camps. Et donc la plupart sont rentrés dans une espèce de mutisme total, comme Primo Levi… Ils se sont tus pendant trente ou quarante ans et puis à un moment donné, la charge est trop lourde, ça devient une nécessité de raconter. J’ai vécu ça de près puisque mon ex beau-père, Sam Braun, a transmis toute son histoire à ses enfants, qui eux la racontent à leur tour à leurs enfants.

En jouant ce spectacle, j’ai l’impression de servir à quelque chose. Je l’ai joué dans le gymnase d’un lycée devant trois cents jeunes et ils ont reçu ce texte, ce témoignage […] Il n’y avait pas un souffle dans la salle.

Est-ce que l’on peut parler de complicité, de jeu entre ce père et ce fils ? Et comment décririez-vous ce rapport ?

Sept jours dans un wagon à bestiaux… comme dans La Vie Est Belle de Roberto Benigni. Ce père fait tout pour détourner son fils de l’horreur qu’il est en train de vivre. Il va le faire rire, lui apprendre la vie, le faire rêver, lui faire faire ses devoirs que ce soit en français ou en maths, et même le marier. Il lui fait vivre pendant sept jours toute une vie. Disons quatre-vingts ans en sept jours. Mais ce temps, ces sept jours donc, sont aussi pour l’auteur la création du monde et les sept paroles du Christ. Tout résonne avec tout. C’est le voyage que l’on fait d’un point à l’autre, que ce soit dans un train en direction de la mort ou celui d’un cheminement intérieur. C’est initiatique et hélas historique.

La musique joue un rôle essentiel dans ce spectacle, comment s’accorde ce duo ?

Le compositeur Raphaël Sanchez s’accorde avec les acteurs. Il vient aux répétitions, tout à fait discrètement. Il se place dans un coin de la salle et il écoute. Il prend des notes. Il s’adapte au texte et aux comédiens. Les notes surgissent dans sa tête et il accompagne l’acteur au plateau. C’est un accompagnateur. Pour ce spectacle, il a écrit une partition magnifique, elle me porte tous les soirs, je joue avec.

Plus j’avançais vers la première, plus j’avais peur, j’avais aussi l’impression d’être en force et Christophe Gand m’a amené vers la douceur, vers le calme.

Pourquoi est-il essentiel aujourd’hui de faire entendre cette histoire ?

C’est un devoir de mémoire et en cela, j’espère que je jouerai ce texte le plus longtemps possible. En jouant ce spectacle, j’ai l’impression de servir à quelque chose. Je l’ai joué dans le gymnase d’un lycée devant trois cents jeunes et ils ont reçu ce texte, ce témoignage parce qu’ils y ont été préparés. Parce que leur professeur avait fait tout un travail en amont. Il n’y avait pas un souffle dans la salle. D’habitude, je ne m’adresse pas au public pour raconter cette histoire. Et là, tout à coup j’ai eu le besoin de leur raconter cette histoire à eux. Comme mon personnage qui raconte l’histoire à son fils. J’ai démarré, j’ai baissé les yeux et puis j’ai regardé le public. À partir de là, pendant toute la durée de la pièce, nous étions eux et moi les yeux dans les yeux, je leur ai transmis cette histoire. 

Dans quelle(s) direction(s) vous a dirigé(s) Christophe Gand ?

On est passés très vite au plateau et il m’a mis en confiance. Un seul en scène c’est compliqué. J’avais peur de le fatiguer, je répétais ce texte tout le temps, tout le temps. J’avais la sensation d’être en boucle, que le texte s’imprégnait en moi, qu’il me possédait d’une façon viscérale. Plus j’avançais vers la première, plus j’avais peur, j’avais aussi l’impression d’être en force et Christophe Gand m’a amené vers la douceur, vers le calme.

Bande-annonce de "En ce temps-là, l'amour..." © Prométhée Productions
Bande-annonce de "En ce temps-là, l'amour..." © Prométhée Productions

Une confidence ?

J’aimerais que tous les jeunes puissent entendre ce texte de Gilles Segal, En ce temps-là, l’amour...

Un acte de résistance ?

Tenir jusqu’à samedi au festival d’Avignon en espérant que le public soit au rendez-vous.  

Un signe particulier ?

Un petit baiser sur le nez de Molière avant de monter sur scène.

Un message personnel ?

Jean-Pierre Bouvier est un immense acteur.

Un talent à suivre ?

Christophe Gand, mon metteur en scène.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

David Brécourt, il n'est vraiment pas bon.

Un message pour le public ?

Un grand merci.