Charlotte Matzneff

« Il est essentiel de se retrouver »

Après cette année 2020 si particulière, la comédienne et metteuse en scène Charlotte Matzneff nous explique en quoi il est essentiel de se retrouver, l’apport de la culture - en particulier auprès des plus jeunes - et évoque son prochain spectacle : une nouvelle adaptation théâtrale du roman d’Alexandre Dumas Les Trois Mousquetaires en collaboration avec Jean-Philippe Daguerre.

« Le spectacle vivant, quel qu’il soit, est un véritable rempart contre l’enfermement et l’isolement... »

En quoi est-il essentiel de faire du théâtre aujourd’hui ? 

Le terme "aujourd’hui" a changé en l’espace de quelques mois. Je crois que ma réponse de ce lundi 28 décembre 2020 n’est pas exactement la même que celle que j’aurais faite il y a un an, même si elle en est cousine. L’époque que nous traversons est troublante, opaque et angoissante et nous oblige à reconsidérer les choses. Je n’ai jamais eu autant conscience de la chance d’être née dans un pays démocratique. Les différentes entraves faites à notre liberté que nous subissons depuis le début de cette pandémie, qu’elles soient justifiées ou non (et notamment l’interdiction d’exercer notre métier depuis quasiment 9 mois) ont élargi mon prisme. Je ne dirais pas qu’il est essentiel de faire du théâtre, je dirais qu’il est essentiel de se retrouver pour créer et vivre des grandes choses ensemble. Qu’il s’agisse de théâtre, de concerts de rock, de musique classique, de chorales, de ballets, il n’est rien de plus beau que de le vivre à plusieurs. Imaginer que Netflix tout seul chez soi puisse remplacer la communion de nos âmes lorsque la magie du spectacle est au rendez-vous, me semble aussi absurde que d’imaginer qu’un apéro zoom puisse remplacer dorénavant nos retrouvailles entre amis. Le vrai, le "live", la matière, la chair, n’ont aucun équivalent. Il est nécessaire dans un monde où les écrans et la distanciation sont à l’ordre du jour. Il est notre bouclier contre la robotisation, contre la déshumanisation. Le spectacle vivant, quel qu’il soit, est un véritable rempart contre l’enfermement et l’isolement. Parce qu’il est de ces moments rares et uniques où tous ces êtres venus d’horizons divers, de contrées plus ou moins lointaines, se réunissent et se rendent compte qu’ils ont un point commun : ils respirent ensemble. Et il n’est rien de plus émouvant que l’homme qui se découvre un souffle commun.

Comment inventer le théâtre de demain ?

Le théâtre s’invente tous les jours. Je pense qu’il n’y a pas de théâtre de demain. C’est notre société, notre humanité et notre difficulté à vivre qui font évoluer les arts.

Le partenaire indispensable à notre métier est le public et celui-ci change tous les jours.

Votre définition de la culture ?

La culture est quelque chose qui se transmet et qui fait grandir celui qui la reçoit comme celui qui la donne. La culture d’un pays à travers les traditions qui nous sont inculquées… L’Histoire à travers les récits de nos aînés… L’amour de la lecture qui vient grâce aux parents qui nous lisent des histoires lorsqu’on n’est pas encore en âge de lire tout seul… Le théâtre, la musique, le cirque qui nous font vibrer lorsqu’on les découvre. On entend souvent qu’un spectacle est différent tous les soirs et il n’est rien de plus vrai. Le partenaire indispensable à notre métier est le public et celui-ci change tous les jours. C’est lui qui nous permet, lorsque nous jouons trois cent fois un même spectacle, de ne pas nous ennuyer car c’est son regard qui va nous faire vivre et redécouvrir nos sensations. Si le public pleure, nous pleurons avec lui. Si le public rit, nous rions avec lui.

Quelles sont vos batailles pour la culture ?

La rendre accessible à tous. Depuis toujours, avec Jean-Philippe Daguerre, à travers notre compagnie de théâtre Le Grenier de Babouchka, nous proposons des spectacles aux plus jeunes. Nous avons démarré en jouant dans les centres aérés, dans les écoles et les lycées. Je pense qu’il est essentiel de venir à eux lorsqu’ils ne peuvent pas venir à nous. Pour permettre aux enfants, avant qu’il ne soit trop tard, d’élargir leur champ de vision. Au Théâtre Le Ranelagh, nous proposons environ soixante représentations par an uniquement dédiées au public scolaire. Et c’est fascinant de voir des enfants de tous milieux confondus, qui viennent au théâtre pour la première fois pour certains, vivre des émotions nouvelles. À l’issue de chaque représentation, nous organisons une rencontre entre les élèves et les comédiens. Nous échangeons, ils posent des questions, nous tentons d’y répondre avec le plus de sincérité possible. C’est une grande richesse pour eux comme pour nous.

« Je veux que les spectateurs sortent en ayant la sensation d’avoir chevauché aux côtés de d’Artagnan... »

Comment est né le projet Les Trois Mousquetaires ?

J’ai toujours aimé les films de cape et d’épée. Petite, j’ai été bercée par Fanfan la Tulipe, Scaramouche et Les Trois Mousquetaires de Richard Lester. J’ai lu le roman lorsque j’étais en troisième et j’ai été surprise de découvrir que les personnages y étaient évidemment beaucoup plus complexes qu’ils n’apparaissaient dans les diverses adaptations cinématographiques. Notamment d’Artagnan et Athos qui m’ont fascinée dans leurs rapports aux femmes. Après avoir monté beaucoup de pièces du grand répertoire, nous cherchions avec Jean-Philippe Daguerre une œuvre populaire qui fasse partie de notre patrimoine. Les Trois Mousquetaires nous est apparu comme une évidence.

C’est une adaptation qui rend hommage à la fois au théâtre de tréteaux et au grand cinéma.

Comment s’est déroulé le travail d’adaptation ?

Nous avons travaillé à quatre mains avec Jean-Philippe Daguerre. Il y a d’abord eu un grand travail d’élagage. Nous avons été contraints de faire des choix. Le roman est tellement dense et complexe, il comporte tant d’intrigues que nous avons dû couper certains pans de l’histoire. Nous avons mis de côté, entre autres, toutes les intrigues amoureuses de Porthos et d’Aramis ainsi que les valets des trois mousquetaires. Seul Planchet (valet et fidèle compagnon de d’Artagnan) a survécu à nos ciseaux.

Qu'apporte selon vous cette nouvelle version théâtrale par rapport à aujourd'hui ?

Nous avons cherché à faire une adaptation théâtrale tout en gardant à l’esprit toutes les adaptations cinématographiques qui font partie de notre patrimoine et qui font de cette œuvre une œuvre populaire au sens noble du terme. J’ai imaginé mon spectacle comme un film de cape et d’épées. Je veux que les spectateurs sortent en ayant la sensation d’avoir chevauché aux côtés de d’Artagnan. Qu’ils en aient les cuisses et les fessiers courbatus. Les scènes sont courtes et dynamiques. Les combats sont nombreux et fulgurants. C’est une adaptation qui (en tout cas, c’est mon souhait) rend hommage à la fois au théâtre de tréteaux et au grand cinéma.

Quelle place occupe la musique/chorégraphie dans votre mise en scène ?

La musique et la chorégraphie de combats sont omniprésentes dans ma mise en scène. La musique occupe d’ailleurs dans toutes mes mises en scène une place extrêmement importante. Ici, nous avons de la guitare, du violon, des cajons, de l’accordéon. Mes comédiens jouent et chantent autant qu’ils se battent. La musique a été créée par Tonio Mathias. Elle est très proche de l’univers des films de Sergio Leone. Je voulais une musique de cowboys, intrigante et mystérieuse. Une musique qui soit omniprésente, qui accompagne notre spectacle comme elle peut accompagner un film. Une musique qui soit présente alors même que nous ne nous en rendons pas forcément compte. Qui puisse exacerber nos sentiments comme lorsque nous regardons un film à suspens et que la musique nous fait tressaillir sur notre fauteuil alors qu’il ne s’est encore rien passé à l’écran. Et puis il y a évidemment la chorégraphie de combats. On ne peut pas imaginer Les trois mousquetaires sans rêver à des combats d’épée grandioses et ébouriffants. J’ai travaillé avec le maître d’armes Christophe Mie (qui joue également Tréville et Louis XII dans le spectacle) qui a orchestré pas moins de neuf combats pour l’occasion dont deux avec plus de dix comédiens qui se battent en même temps sur scène.

Nous allons découvrir, à travers les quatre mousquetaires, des femmes courageuses et déterminées.

Quel positionnement accordez-vous aux femmes dans cette histoire d’hommes ? 

Les femmes sont au cœur de l’histoire. Les hommes agissent et réagissent toujours pour ou à cause d’une femme. La reine, Constance et Milady sont au centre de toutes les intrigues. Nous allons découvrir, à travers les quatre mousquetaires, des femmes courageuses et déterminées. Des femmes qui sont malmenées par un siècle qui leur laisse bien peu de place pour exister. Il est tout de même assez étonnant de constater que dans la majeure partie des adaptations (qu’elles soient dédiées à un public familial ou non), on omette systématiquement de parler du viol de Milady par d’Artagnan. On se contente de retranscrire la méchanceté et la perfidie de Milady sans expliquer la haine qu’elle éprouve à son égard. Si Milady hait copieusement d’Artagnan, ce n’est pas parce qu’elle s’est réveillée un matin en décidant de détruire la vie de ce dernier, elle est verte de rage et décide de se venger après avoir été abusée. Même si je ne parle pas non plus de cet épisode dans mon adaptation car je ne me vois pas expliquer à un public jeune que leur héros mérite un #balancetonporc, je me suis employée à essayer de faire comprendre les sentiments qui animent Milady. Ce n’est pas une femme née diabolique, elle le devient parce qu’elle n’a, à mon sens, pas d’autre choix pour survivre que de pactiser avec le diable. J’ai essayé de rendre hommage aux femmes dans ce qu’elles ont de touchant. Leurs failles et leurs forces.

Les Trois Mousquetaires : une histoire d’amour ou de combats d’épées ?

Ce sont trois histoires d’amour et plein de combats d’épées ! Un grand amour entre la reine Anne d’Autriche et le duc de Buckingham, une romance entre d’Artagnan et Constance et une passion cruelle entre Athos et Milady. Les destinées sont tragiques à chaque fois. À croire que l’amour ne peut s’inscrire que dans l’adversité et dans le malheur dans une époque farouchement conçue par et pour les hommes.

Quels seraient vos trois mousquetaires dans la vie ?

Mon frère, ma sœur et moi. Nous sommes "Un pour tous et tous pour un".

« Je grandis au rythme de mes enfants... »

Une confidence ?

Je ne mange rien de salé avant l’heure du dîner. Mon déjeuner se compose d’une succession de desserts. 

Un acte de résistance ?

Je n’ai plus de télévision depuis 15 ans et je boycotte littéralement les infos. Je me suis rendue compte, après un séjour prolongé aux États-Unis (les infos y sont en boucle dans tous les commerces, restaurants, bars) que la télévision avait un pouvoir terriblement anxiogène et nocif. Et aujourd’hui, plus que jamais, pour garder une certaine sérénité (notamment face à la pandémie que nous vivons), il faut absolument éviter selon moi la télévision et rester mesurés dans notre utilisation des réseaux sociaux.

Un lieu préféré ?

Les Cévennes.

Un signe particulier ?

Un grain de beauté sous l’œil droit.

Une seule information à retenir sur vous ?

Je crois que je grandis au rythme de mes enfants.

Un talent à suivre ?

Arnaud Maillard que j’ai découvert dans le formidable spectacle de Mathilda May Le Banquet.

Avec La vie est belle de Roberto Benigni, j’ai compris ce que j’aimais au théâtre et au cinéma par-dessus tout : l’amour qui transcende.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Que je suis égoïste.

« Avec... »

...Le cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht mis en scène par Jean-Marie Broucaret, j’ai eu envie de mettre en scène. 

...La vie est belle de Roberto Benigni, j’ai compris ce que j’aimais au théâtre et au cinéma par-dessus tout : l’amour qui transcende. Il n’y a rien qui m’émeuve davantage.

...Une prière pour Owen de John Irving, j’ai appris à aimer les romans de plus de cinq cent pages. 

...Un mari idéal d’Oscar Wilde mis en scène par Adrian Brine avec Didier Sandre et Annie Duperey, j’ai décidé de devenir comédienne pour de bon.

...Le Bourgeois gentilhomme mis en scène par Jean-Philippe Daguerre, j’ai rencontré le père de mes enfants.

...Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl, j’ai commis le péché de la gourmandise par procuration.

...Mystères à Twin Peaks de David Lynch, j’ai goûté à la peur qui rend accro.

« Mon message au public... »

Vous me manquez et j’ai hâte de vous retrouver !

Publié le
13
.
01
.
2021
Par Jérôme Réveillère

Après cette année 2020 si particulière, la comédienne et metteuse en scène Charlotte Matzneff nous explique en quoi il est essentiel de se retrouver, l’apport de la culture - en particulier auprès des plus jeunes - et évoque son prochain spectacle : une nouvelle adaptation théâtrale du roman d’Alexandre Dumas Les Trois Mousquetaires en collaboration avec Jean-Philippe Daguerre.

Photo © Emilie Deville

« Le spectacle vivant, quel qu’il soit, est un véritable rempart contre l’enfermement et l’isolement... »

En quoi est-il essentiel de faire du théâtre aujourd’hui ? 

Le terme "aujourd’hui" a changé en l’espace de quelques mois. Je crois que ma réponse de ce lundi 28 décembre 2020 n’est pas exactement la même que celle que j’aurais faite il y a un an, même si elle en est cousine. L’époque que nous traversons est troublante, opaque et angoissante et nous oblige à reconsidérer les choses. Je n’ai jamais eu autant conscience de la chance d’être née dans un pays démocratique. Les différentes entraves faites à notre liberté que nous subissons depuis le début de cette pandémie, qu’elles soient justifiées ou non (et notamment l’interdiction d’exercer notre métier depuis quasiment 9 mois) ont élargi mon prisme. Je ne dirais pas qu’il est essentiel de faire du théâtre, je dirais qu’il est essentiel de se retrouver pour créer et vivre des grandes choses ensemble. Qu’il s’agisse de théâtre, de concerts de rock, de musique classique, de chorales, de ballets, il n’est rien de plus beau que de le vivre à plusieurs. Imaginer que Netflix tout seul chez soi puisse remplacer la communion de nos âmes lorsque la magie du spectacle est au rendez-vous, me semble aussi absurde que d’imaginer qu’un apéro zoom puisse remplacer dorénavant nos retrouvailles entre amis. Le vrai, le "live", la matière, la chair, n’ont aucun équivalent. Il est nécessaire dans un monde où les écrans et la distanciation sont à l’ordre du jour. Il est notre bouclier contre la robotisation, contre la déshumanisation. Le spectacle vivant, quel qu’il soit, est un véritable rempart contre l’enfermement et l’isolement. Parce qu’il est de ces moments rares et uniques où tous ces êtres venus d’horizons divers, de contrées plus ou moins lointaines, se réunissent et se rendent compte qu’ils ont un point commun : ils respirent ensemble. Et il n’est rien de plus émouvant que l’homme qui se découvre un souffle commun.

Comment inventer le théâtre de demain ?

Le théâtre s’invente tous les jours. Je pense qu’il n’y a pas de théâtre de demain. C’est notre société, notre humanité et notre difficulté à vivre qui font évoluer les arts.

Le partenaire indispensable à notre métier est le public et celui-ci change tous les jours.

Votre définition de la culture ?

La culture est quelque chose qui se transmet et qui fait grandir celui qui la reçoit comme celui qui la donne. La culture d’un pays à travers les traditions qui nous sont inculquées… L’Histoire à travers les récits de nos aînés… L’amour de la lecture qui vient grâce aux parents qui nous lisent des histoires lorsqu’on n’est pas encore en âge de lire tout seul… Le théâtre, la musique, le cirque qui nous font vibrer lorsqu’on les découvre. On entend souvent qu’un spectacle est différent tous les soirs et il n’est rien de plus vrai. Le partenaire indispensable à notre métier est le public et celui-ci change tous les jours. C’est lui qui nous permet, lorsque nous jouons trois cent fois un même spectacle, de ne pas nous ennuyer car c’est son regard qui va nous faire vivre et redécouvrir nos sensations. Si le public pleure, nous pleurons avec lui. Si le public rit, nous rions avec lui.

Quelles sont vos batailles pour la culture ?

La rendre accessible à tous. Depuis toujours, avec Jean-Philippe Daguerre, à travers notre compagnie de théâtre Le Grenier de Babouchka, nous proposons des spectacles aux plus jeunes. Nous avons démarré en jouant dans les centres aérés, dans les écoles et les lycées. Je pense qu’il est essentiel de venir à eux lorsqu’ils ne peuvent pas venir à nous. Pour permettre aux enfants, avant qu’il ne soit trop tard, d’élargir leur champ de vision. Au Théâtre Le Ranelagh, nous proposons environ soixante représentations par an uniquement dédiées au public scolaire. Et c’est fascinant de voir des enfants de tous milieux confondus, qui viennent au théâtre pour la première fois pour certains, vivre des émotions nouvelles. À l’issue de chaque représentation, nous organisons une rencontre entre les élèves et les comédiens. Nous échangeons, ils posent des questions, nous tentons d’y répondre avec le plus de sincérité possible. C’est une grande richesse pour eux comme pour nous.

« Je veux que les spectateurs sortent en ayant la sensation d’avoir chevauché aux côtés de d’Artagnan... »

Comment est né le projet Les Trois Mousquetaires ?

J’ai toujours aimé les films de cape et d’épée. Petite, j’ai été bercée par Fanfan la Tulipe, Scaramouche et Les Trois Mousquetaires de Richard Lester. J’ai lu le roman lorsque j’étais en troisième et j’ai été surprise de découvrir que les personnages y étaient évidemment beaucoup plus complexes qu’ils n’apparaissaient dans les diverses adaptations cinématographiques. Notamment d’Artagnan et Athos qui m’ont fascinée dans leurs rapports aux femmes. Après avoir monté beaucoup de pièces du grand répertoire, nous cherchions avec Jean-Philippe Daguerre une œuvre populaire qui fasse partie de notre patrimoine. Les Trois Mousquetaires nous est apparu comme une évidence.

C’est une adaptation qui rend hommage à la fois au théâtre de tréteaux et au grand cinéma.

Comment s’est déroulé le travail d’adaptation ?

Nous avons travaillé à quatre mains avec Jean-Philippe Daguerre. Il y a d’abord eu un grand travail d’élagage. Nous avons été contraints de faire des choix. Le roman est tellement dense et complexe, il comporte tant d’intrigues que nous avons dû couper certains pans de l’histoire. Nous avons mis de côté, entre autres, toutes les intrigues amoureuses de Porthos et d’Aramis ainsi que les valets des trois mousquetaires. Seul Planchet (valet et fidèle compagnon de d’Artagnan) a survécu à nos ciseaux.

Qu'apporte selon vous cette nouvelle version théâtrale par rapport à aujourd'hui ?

Nous avons cherché à faire une adaptation théâtrale tout en gardant à l’esprit toutes les adaptations cinématographiques qui font partie de notre patrimoine et qui font de cette œuvre une œuvre populaire au sens noble du terme. J’ai imaginé mon spectacle comme un film de cape et d’épées. Je veux que les spectateurs sortent en ayant la sensation d’avoir chevauché aux côtés de d’Artagnan. Qu’ils en aient les cuisses et les fessiers courbatus. Les scènes sont courtes et dynamiques. Les combats sont nombreux et fulgurants. C’est une adaptation qui (en tout cas, c’est mon souhait) rend hommage à la fois au théâtre de tréteaux et au grand cinéma.

Quelle place occupe la musique/chorégraphie dans votre mise en scène ?

La musique et la chorégraphie de combats sont omniprésentes dans ma mise en scène. La musique occupe d’ailleurs dans toutes mes mises en scène une place extrêmement importante. Ici, nous avons de la guitare, du violon, des cajons, de l’accordéon. Mes comédiens jouent et chantent autant qu’ils se battent. La musique a été créée par Tonio Mathias. Elle est très proche de l’univers des films de Sergio Leone. Je voulais une musique de cowboys, intrigante et mystérieuse. Une musique qui soit omniprésente, qui accompagne notre spectacle comme elle peut accompagner un film. Une musique qui soit présente alors même que nous ne nous en rendons pas forcément compte. Qui puisse exacerber nos sentiments comme lorsque nous regardons un film à suspens et que la musique nous fait tressaillir sur notre fauteuil alors qu’il ne s’est encore rien passé à l’écran. Et puis il y a évidemment la chorégraphie de combats. On ne peut pas imaginer Les trois mousquetaires sans rêver à des combats d’épée grandioses et ébouriffants. J’ai travaillé avec le maître d’armes Christophe Mie (qui joue également Tréville et Louis XII dans le spectacle) qui a orchestré pas moins de neuf combats pour l’occasion dont deux avec plus de dix comédiens qui se battent en même temps sur scène.

Nous allons découvrir, à travers les quatre mousquetaires, des femmes courageuses et déterminées.

Quel positionnement accordez-vous aux femmes dans cette histoire d’hommes ? 

Les femmes sont au cœur de l’histoire. Les hommes agissent et réagissent toujours pour ou à cause d’une femme. La reine, Constance et Milady sont au centre de toutes les intrigues. Nous allons découvrir, à travers les quatre mousquetaires, des femmes courageuses et déterminées. Des femmes qui sont malmenées par un siècle qui leur laisse bien peu de place pour exister. Il est tout de même assez étonnant de constater que dans la majeure partie des adaptations (qu’elles soient dédiées à un public familial ou non), on omette systématiquement de parler du viol de Milady par d’Artagnan. On se contente de retranscrire la méchanceté et la perfidie de Milady sans expliquer la haine qu’elle éprouve à son égard. Si Milady hait copieusement d’Artagnan, ce n’est pas parce qu’elle s’est réveillée un matin en décidant de détruire la vie de ce dernier, elle est verte de rage et décide de se venger après avoir été abusée. Même si je ne parle pas non plus de cet épisode dans mon adaptation car je ne me vois pas expliquer à un public jeune que leur héros mérite un #balancetonporc, je me suis employée à essayer de faire comprendre les sentiments qui animent Milady. Ce n’est pas une femme née diabolique, elle le devient parce qu’elle n’a, à mon sens, pas d’autre choix pour survivre que de pactiser avec le diable. J’ai essayé de rendre hommage aux femmes dans ce qu’elles ont de touchant. Leurs failles et leurs forces.

Les Trois Mousquetaires : une histoire d’amour ou de combats d’épées ?

Ce sont trois histoires d’amour et plein de combats d’épées ! Un grand amour entre la reine Anne d’Autriche et le duc de Buckingham, une romance entre d’Artagnan et Constance et une passion cruelle entre Athos et Milady. Les destinées sont tragiques à chaque fois. À croire que l’amour ne peut s’inscrire que dans l’adversité et dans le malheur dans une époque farouchement conçue par et pour les hommes.

Quels seraient vos trois mousquetaires dans la vie ?

Mon frère, ma sœur et moi. Nous sommes "Un pour tous et tous pour un".

« Je grandis au rythme de mes enfants... »

Une confidence ?

Je ne mange rien de salé avant l’heure du dîner. Mon déjeuner se compose d’une succession de desserts. 

Un acte de résistance ?

Je n’ai plus de télévision depuis 15 ans et je boycotte littéralement les infos. Je me suis rendue compte, après un séjour prolongé aux États-Unis (les infos y sont en boucle dans tous les commerces, restaurants, bars) que la télévision avait un pouvoir terriblement anxiogène et nocif. Et aujourd’hui, plus que jamais, pour garder une certaine sérénité (notamment face à la pandémie que nous vivons), il faut absolument éviter selon moi la télévision et rester mesurés dans notre utilisation des réseaux sociaux.

Un lieu préféré ?

Les Cévennes.

Un signe particulier ?

Un grain de beauté sous l’œil droit.

Une seule information à retenir sur vous ?

Je crois que je grandis au rythme de mes enfants.

Un talent à suivre ?

Arnaud Maillard que j’ai découvert dans le formidable spectacle de Mathilda May Le Banquet.

Avec La vie est belle de Roberto Benigni, j’ai compris ce que j’aimais au théâtre et au cinéma par-dessus tout : l’amour qui transcende.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Que je suis égoïste.

« Avec... »

...Le cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht mis en scène par Jean-Marie Broucaret, j’ai eu envie de mettre en scène. 

...La vie est belle de Roberto Benigni, j’ai compris ce que j’aimais au théâtre et au cinéma par-dessus tout : l’amour qui transcende. Il n’y a rien qui m’émeuve davantage.

...Une prière pour Owen de John Irving, j’ai appris à aimer les romans de plus de cinq cent pages. 

...Un mari idéal d’Oscar Wilde mis en scène par Adrian Brine avec Didier Sandre et Annie Duperey, j’ai décidé de devenir comédienne pour de bon.

...Le Bourgeois gentilhomme mis en scène par Jean-Philippe Daguerre, j’ai rencontré le père de mes enfants.

...Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl, j’ai commis le péché de la gourmandise par procuration.

...Mystères à Twin Peaks de David Lynch, j’ai goûté à la peur qui rend accro.

« Mon message au public... »

Vous me manquez et j’ai hâte de vous retrouver !