Béatrice Agenin

« Je me suis dit que j’allais chanter aussi des choses légères, amusantes… »

Totalement inattendue dans le registre du cabaret, Béatrice Agenin, Moliérisée en 2020 pour Marie des Poules, partage depuis le début du Festival Off d'Avignon la scène avec sa fille Émilie Bouchereau dans Notre Petit Cabaret. Une "fantaisie" comme elles aiment l'appeler dans laquelle elles chantent, dansent, jouent des textes d'auteurs et des créations, pour mieux nous parler d'amour et des relations mères-filles. À une semaine de la fin du Off, Béatrice Agenin revient sur la création du spectacle et ce désir qui les réunit chaque jour au Théâtre Au Coin de la Lune.

« Il fallait faire ce métier... »

Qu'est-ce qui vous a fait aimer / choisir le théâtre ?

​​Mon père qui adorait le théâtre.

Une rencontre artistique décisive ?

Jean-Paul Roussillon.

Je ne serais pas arrivée là si… ?

Si je n’avais pas vu Marat-Sade, le film de Peter Brook à la cinémathèque avec Glenda Jackson. Elle joue une fille sous neuroleptique dans un hôpital psychiatrique. Elle jouait tellement bien que j’ai d’abord cru que c’était une vraie malade, que Peter Brook avait demandé à une vraie malade de jouer dans le film. Et je me disais mais comment ils ont fait… Ensuite, j’ai compris que c’était une comédienne bien sûr. Arriver à ce niveau-là, c’est fou. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, parce que si l’on pouvait croire à quelqu’un qui jouait de cette façon alors il fallait faire ce métier.

Bande-annonce de "Notre Petit Cabaret" - Réalisation © Cédric Vasnier
Bande-annonce de "Notre Petit Cabaret" - Réalisation © Cédric Vasnier

« Le cabaret, c’est la forme idéale pour passer du coq à l’âne... »

Quel a été le déclencheur de Notre Petit Cabaret ?

C’est ma fille. Je pourrais dire que c’est le COVID mais c’est d’abord ma fille. L’année dernière, je jouais Marie des Poules au Festival de Jarnac et le directeur m’a donné carte blanche pour faire un autre spectacle, ce que je voulais. J’avais invité ma fille au festival et au moment où je l’ai dit, je l’ai fait. J’ai demandé à Émilie si elle voulait bien être sur scène à mes côtés, et de fil en aiguille, on a conçu une trame. Une soirée poétique et musicale. Quelque chose de divertissant, de rafraîchissant aussi. Je trouve qu’elle mérite qu’on écoute sa voix. C’est ça le déclencheur : c’est chanter avec ma fille, partager avec ma fille un spectacle.

Quand Cédric Vasnier a vu Notre Petit Cabaret alors qu’on était en résidence et que l’on n’était pas du tout prêts, il nous a dit : ça m’a touché parce que maman est partie trop tôt et j’aurais aimé partager quelque chose avec elle. Notre Petit Cabaret c’est ça.

Comment avez-vous choisi les textes, les chansons ?

On a choisi uniquement ce qui nous plaisait. Proust par exemple. J’aime la langue, le style… Plus personne n’écrit comme Proust. Ce n’est pas l’époque des styles, comme Marcel Aymé par exemple. Même Virginie Despentes ou Annie Ernaux et je les aime infiniment pourtant. J’ai cherché des auteurs féminins qui pouvaient m’emmener plus loin que Proust, plus loin que Rimbaud, je n’ai pas trouvé. À part George Sand ou Colette. Cette langue-là, recherchée, étudiée, est perdue. Je pense qu’elle est perdue à peu près partout dans le monde. Colette c’est stupéfiant par exemple, quand sa mère lui écrit et qu’elle compare les pointes des cactus à des sabres…

Émilie compose et chante ses chansons et je me suis dit que j’allais chanter aussi des choses légères, amusantes… La chanson de Peter Pan dans le spectacle, c’est sa vraie histoire. Elle a écrit cette chanson qui raconte ses premières émotions amoureuses.

Est-ce un exercice difficile que de partager le plateau avec quelqu’un d’aussi proche ?

À partir du moment où c’est un désir, ce n’est pas difficile. C’est ça qui est important : le désir. Et en plus Émilie et moi avons des caractères diamétralement opposés. Nous avons très vite compris qu’on avait besoin de nous focaliser sur le résultat de ce projet et qu’il nous fallait ne jamais intervenir en autorité pour moi précisément ni en état de surexcitation, qu’il nous fallait éviter les désaccords. J’ai à faire à une fille très intelligente et très sensible et j’aime profondément sa voix et c’est elle qui a dirigé les musiciens. Je la respecte et j’ai vu que les musiciens en particulier Simon Fache, un merveilleux musicien qui sait accompagner les acteurs, l’écoutait. À partir du moment où les musiciens la respectent, je la respecte. L’exercice aurait été difficile si nous ne nous étions pas accordées comme des musiciens. C’est un cadeau. Ce qu’elle voulait, c’était vraiment partager le plateau avec moi. C’est le cadeau que nous étions d’accord pour nous faire.

Les compositions d’Émilie ont-elles été créées spécifiquement pour ce spectacle ?

On n’avait pas le temps de le faire. Les chansons étaient déjà écrites. Mais de son côté, elle est en train d’imaginer un autre projet, d’une façon plus militante. Elle est en train d’écrire quelque chose de plus personnel, avec sa propre expérience passée, toutes ces femmes piégées dans une situation avec un homme, un mari, un père et qui ne trouvent pas le chemin pour y échapper...

Le cabaret, c’est l’endroit de tous les possibles. Avez-vous un attachement particulier, intime, à cette forme ?

J’ai vraiment commencé comme spectatrice. Mon père adorait ça. Il voulait être acteur, il aimait faire rire les gens. Il m’emmenait au concert Pacra, il y avait là toutes sortes de gens comme Brel, Barbara… Mon père chantait très mal et c’est un rêve qu’il n’a jamais atteint. Il aurait adoré faire rire avec des chansons. Cela dit, il nous faisait beaucoup rire quand il se déguisait. C’était ça qui lui plaisait.

Le cabaret, c’était la forme idéale pour passer du coq à l’âne.

Vous êtes entourées de deux musiciens, comment se sont passées les répétitions ? Est-ce un challenge pour vous de vous confronter à la chanson ?

J’ai dit tout de suite que je ne savais pas le faire… J’ai pris des cours avec quatre professeurs de chant différents. Je me suis nourrie de toutes formes de techniques possibles. C’était pour moi, comme prendre des cours de comédie. Comme une plante sur laquelle on place un tuteur mais la plante, elle, elle va où elle peut, où elle veut, on ne peut pas la contenir, ni la diriger par la force. C’est impossible. J’ai choisi des gens que je connaissais et dont je savais qu’ils n’allaient pas me juger. J’ai l’oreille musicienne mais si la comédienne sait comment placer sa voix, la chanteuse que je ne suis pas ne le sait évidemment pas… À Jarnac, on avait déjà ces deux musiciens. Ils sont remplis de gentillesse, de bienveillance avec nous. C’est Éric Laugérias qui m’a présenté Simon Fache. J’ai hérité du choix d’Éric. Par curiosité, je suis allée voir sur Wikipédia qui était cet homme et quand j’ai lu tout ce qu’il savait faire… comme diriger un orchestre, j’ai été très impressionnée ! Simon Fache m’a dit : ne t’inquiète pas c’est moi qui te suis alors je lui ai répondu : mais je ne serai jamais en rythme !

C’est une grande liberté, presque jouissive par rapport à un texte, là si j’ai un trou je fais lalala… C’est la joie de vivre… Ces répétitions ont été formidables.

Quelle place occupe la scénographie et la lumière ?

La place qu’elles occupent est énorme. Laurent Béal, c’est mon Dieu. Le décor de Catherine Bluwal nous accompagne. Tous les deux nous habillent dans une robe sur mesure et qui nous met en valeur. La scénographie est essentielle, un acteur n’est rien sans elle. Quelqu’un qui écoute et quelqu’un qui parle c’est déjà du théâtre disait Peter Brook. Bien sûr l’acteur et le texte c’est génial déjà, mais si en plus on est entouré, aimé par un décor et un éclairagiste, on a moins peur. La lumière devient votre amie.

Vous avez travaillé avec une chorégraphe. Pourquoi ce choix ?

Je connaissais déjà Caroline Roëlands. Je l’aime énormément. Elle est extrêmement douce et moi, je crois à la douceur, je crois qu’on travaille mieux dans la bonté. Le fait est que j’avais peur, il nous fallait donc quelqu’un qui me regarde avec beaucoup de gentillesse. Le peu de pas que j’esquisse sur scène, ce sont des petits pas qui me correspondent. Pour la chanson de Trenet par exemple, Boum, ça m’a pris des heures et des heures, mais tout à coup, ça donne une légitimité à la chanson.

Il nous fallait quelqu’un pour nous mettre dans l’espace ensemble, Émilie et moi, et pas un metteur en scène. Un metteur en scène nous aurait dirigées et nous ne voulions pas, nous voulions une direction de cabaret, pas une direction d’acteurs. Il ne nous fallait pas quelqu’un d’extérieur pour nous diriger. Au stade où en était Émilie, ça l’aurait bloquée, elle a son univers, sa manière de chanter, de se tenir, de respirer… Si je lui dis quelque chose ça déséquilibre sa propre énergie… Les chansons qu’elles chantent, elles viennent d’elle et on ne peut pas lui dire : là tu devrais mettre plus d’angoisse, ou plus de légèreté… Je ne peux pas faire ça. Personne ne peut faire ça. Elle est l’unique maîtresse de sa musique et de sa musicalité. C’était impossible un metteur en scène dans ce travail si ténu. Caroline Roëlands nous a énormément aidées. On s’est rencontrées sur Une famille formidable et plus tard, je l’ai engagée sur un spectacle autour de Barbara à la Comédie-Française. Elle sait être professionnelle mais elle ne tape pas sur les doigts, elle nous autorise à tester des choses et de répétitions en répétitions, nous nous sommes abandonnées à faire ce que nous n’avions jamais fait. D’une manière générale je suis pour travailler dans la confiance. Quelqu’un qui vous accompagne, qui vous dit : « refais-le, tu vas y arriver… ». On peut trouver des choses, on peut toujours progresser.

Vous utilisez une marionnette et un pantin dans le spectacle, quels rôles jouent-ils ?

C’est très élaboré une marionnette. J’ai toujours aimé ça. Je ne peux pas expliquer ça. Dans Marie des Poules, il y en a deux alors qu’elles n’existent pas dans le texte, je veux dire que l’auteur n’a pas indiqué la présence de deux marionnettes.

J’ai une fascination pour la marionnette, c’est lié à l’enfance évidemment. La marionnette est une créature. Ça commence avec Pinocchio. L’objet auquel vous donnez un geste, une parole, on peut même parler d’âme, c’est nous qui la faisons vivre et pourtant c’est elle qui a le pouvoir.

J’ai une envie folle d’utiliser encore des marionnettes, c’est la magie. Ça a tous les symboles et à partir du moment où l’on fait arriver un truc qui bouge et en lui donnant une voix : on y croit.

« Je n'aimerais pas manquer à ma promesse d’amour... »

Une confidence ?

L’amour.

Un acte de résistance ?

Le travail.

Un signe particulier ?

Être charmée.

Un message personnel ?

Préférez l’amour à la guerre. Ce qui se passe me choque profondément, nous n’arrivons pas les humains ensemble à nous mettre d’accord pour ne pas faire la guerre, nous n’y arrivons pas. Je ne comprends pas qu’au fond de nous, on ne puisse pas se dire : aimer plutôt que haïr.

Un talent à suivre ?

Beaucoup, beaucoup… Et tous les trésors qu’on a en soi.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Que j’ai manqué à toutes ces choses auxquelles je prétends m’attacher… J’ai encore beaucoup de progrès à faire là-dessus… Être d’abord humaine. Je n'aimerais pas manquer à ma promesse d’amour.

Vos prochains projets ?

Macbeth. Je ne sais pas encore sous quelle forme. Il y a quelque chose qui me fascine dans Macbeth. Il y a un assassin qui réalise qu’il a du sang sur les mains. La plupart des assassins (Poutine, Hitler, tous ceux qui tuent gratuitement dans la rue) ils ne regardent jamais leurs mains. C'est de la poésie pure que Lady Macbeth veuille enlever les taches qu’elle a sur les mains… C’est mon prochain combat. Comment on se débarrasse du crime ? La scène la plus belle de toutes est souvent coupée par les metteurs en scène. L’Écosse est tellement dans le malheur que son peuple vient chercher le fils du roi et lui dit : « Venez nous sauver, il n’y a que vous qui puissiez rétablir la paix. »
Et le fils du roi répond : « Je suis un salaud, je violerai vos filles, je pillerai vos maisons… »
Et l’autre dit : « Mais on vous donnera de l’argent, on vous fournira des putes… »
À la fin, le fils du roi dit : « ce n’est pas vrai ce que j’ai dit, je ne suis pas comme ça, je suis un agneau. ».
Puis ils regardent les autres et ajoutent : « J’ai l’impression que tu hésites. ».
Alors celui qui mène le peuple d’Écosse lui dit : « Vous m’avez fait un tel tableau de ce que vous êtes capable de faire que je ne crois plus que vous pourriez nous sauver. »
Et le fils du roi répond : « Si tu acceptes ça alors je peux être le roi que tu attends. ».

Publié le
25
.
07
.
2022
Par Jérôme Réveillère

Totalement inattendue dans le registre du cabaret, Béatrice Agenin, Moliérisée en 2020 pour Marie des Poules, partage depuis le début du Festival Off d'Avignon la scène avec sa fille Émilie Bouchereau dans Notre Petit Cabaret. Une "fantaisie" comme elles aiment l'appeler dans laquelle elles chantent, dansent, jouent des textes d'auteurs et des créations, pour mieux nous parler d'amour et des relations mères-filles. À une semaine de la fin du Off, Béatrice Agenin revient sur la création du spectacle et ce désir qui les réunit chaque jour au Théâtre Au Coin de la Lune.

Photo © Cédric Vasnier

« Il fallait faire ce métier... »

Qu'est-ce qui vous a fait aimer / choisir le théâtre ?

​​Mon père qui adorait le théâtre.

Une rencontre artistique décisive ?

Jean-Paul Roussillon.

Je ne serais pas arrivée là si… ?

Si je n’avais pas vu Marat-Sade, le film de Peter Brook à la cinémathèque avec Glenda Jackson. Elle joue une fille sous neuroleptique dans un hôpital psychiatrique. Elle jouait tellement bien que j’ai d’abord cru que c’était une vraie malade, que Peter Brook avait demandé à une vraie malade de jouer dans le film. Et je me disais mais comment ils ont fait… Ensuite, j’ai compris que c’était une comédienne bien sûr. Arriver à ce niveau-là, c’est fou. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, parce que si l’on pouvait croire à quelqu’un qui jouait de cette façon alors il fallait faire ce métier.

Bande-annonce de "Notre Petit Cabaret" - Réalisation © Cédric Vasnier
Bande-annonce de "Notre Petit Cabaret" - Réalisation © Cédric Vasnier

« Le cabaret, c’est la forme idéale pour passer du coq à l’âne... »

Quel a été le déclencheur de Notre Petit Cabaret ?

C’est ma fille. Je pourrais dire que c’est le COVID mais c’est d’abord ma fille. L’année dernière, je jouais Marie des Poules au Festival de Jarnac et le directeur m’a donné carte blanche pour faire un autre spectacle, ce que je voulais. J’avais invité ma fille au festival et au moment où je l’ai dit, je l’ai fait. J’ai demandé à Émilie si elle voulait bien être sur scène à mes côtés, et de fil en aiguille, on a conçu une trame. Une soirée poétique et musicale. Quelque chose de divertissant, de rafraîchissant aussi. Je trouve qu’elle mérite qu’on écoute sa voix. C’est ça le déclencheur : c’est chanter avec ma fille, partager avec ma fille un spectacle.

Quand Cédric Vasnier a vu Notre Petit Cabaret alors qu’on était en résidence et que l’on n’était pas du tout prêts, il nous a dit : ça m’a touché parce que maman est partie trop tôt et j’aurais aimé partager quelque chose avec elle. Notre Petit Cabaret c’est ça.

Comment avez-vous choisi les textes, les chansons ?

On a choisi uniquement ce qui nous plaisait. Proust par exemple. J’aime la langue, le style… Plus personne n’écrit comme Proust. Ce n’est pas l’époque des styles, comme Marcel Aymé par exemple. Même Virginie Despentes ou Annie Ernaux et je les aime infiniment pourtant. J’ai cherché des auteurs féminins qui pouvaient m’emmener plus loin que Proust, plus loin que Rimbaud, je n’ai pas trouvé. À part George Sand ou Colette. Cette langue-là, recherchée, étudiée, est perdue. Je pense qu’elle est perdue à peu près partout dans le monde. Colette c’est stupéfiant par exemple, quand sa mère lui écrit et qu’elle compare les pointes des cactus à des sabres…

Émilie compose et chante ses chansons et je me suis dit que j’allais chanter aussi des choses légères, amusantes… La chanson de Peter Pan dans le spectacle, c’est sa vraie histoire. Elle a écrit cette chanson qui raconte ses premières émotions amoureuses.

Est-ce un exercice difficile que de partager le plateau avec quelqu’un d’aussi proche ?

À partir du moment où c’est un désir, ce n’est pas difficile. C’est ça qui est important : le désir. Et en plus Émilie et moi avons des caractères diamétralement opposés. Nous avons très vite compris qu’on avait besoin de nous focaliser sur le résultat de ce projet et qu’il nous fallait ne jamais intervenir en autorité pour moi précisément ni en état de surexcitation, qu’il nous fallait éviter les désaccords. J’ai à faire à une fille très intelligente et très sensible et j’aime profondément sa voix et c’est elle qui a dirigé les musiciens. Je la respecte et j’ai vu que les musiciens en particulier Simon Fache, un merveilleux musicien qui sait accompagner les acteurs, l’écoutait. À partir du moment où les musiciens la respectent, je la respecte. L’exercice aurait été difficile si nous ne nous étions pas accordées comme des musiciens. C’est un cadeau. Ce qu’elle voulait, c’était vraiment partager le plateau avec moi. C’est le cadeau que nous étions d’accord pour nous faire.

Les compositions d’Émilie ont-elles été créées spécifiquement pour ce spectacle ?

On n’avait pas le temps de le faire. Les chansons étaient déjà écrites. Mais de son côté, elle est en train d’imaginer un autre projet, d’une façon plus militante. Elle est en train d’écrire quelque chose de plus personnel, avec sa propre expérience passée, toutes ces femmes piégées dans une situation avec un homme, un mari, un père et qui ne trouvent pas le chemin pour y échapper...

Le cabaret, c’est l’endroit de tous les possibles. Avez-vous un attachement particulier, intime, à cette forme ?

J’ai vraiment commencé comme spectatrice. Mon père adorait ça. Il voulait être acteur, il aimait faire rire les gens. Il m’emmenait au concert Pacra, il y avait là toutes sortes de gens comme Brel, Barbara… Mon père chantait très mal et c’est un rêve qu’il n’a jamais atteint. Il aurait adoré faire rire avec des chansons. Cela dit, il nous faisait beaucoup rire quand il se déguisait. C’était ça qui lui plaisait.

Le cabaret, c’était la forme idéale pour passer du coq à l’âne.

Vous êtes entourées de deux musiciens, comment se sont passées les répétitions ? Est-ce un challenge pour vous de vous confronter à la chanson ?

J’ai dit tout de suite que je ne savais pas le faire… J’ai pris des cours avec quatre professeurs de chant différents. Je me suis nourrie de toutes formes de techniques possibles. C’était pour moi, comme prendre des cours de comédie. Comme une plante sur laquelle on place un tuteur mais la plante, elle, elle va où elle peut, où elle veut, on ne peut pas la contenir, ni la diriger par la force. C’est impossible. J’ai choisi des gens que je connaissais et dont je savais qu’ils n’allaient pas me juger. J’ai l’oreille musicienne mais si la comédienne sait comment placer sa voix, la chanteuse que je ne suis pas ne le sait évidemment pas… À Jarnac, on avait déjà ces deux musiciens. Ils sont remplis de gentillesse, de bienveillance avec nous. C’est Éric Laugérias qui m’a présenté Simon Fache. J’ai hérité du choix d’Éric. Par curiosité, je suis allée voir sur Wikipédia qui était cet homme et quand j’ai lu tout ce qu’il savait faire… comme diriger un orchestre, j’ai été très impressionnée ! Simon Fache m’a dit : ne t’inquiète pas c’est moi qui te suis alors je lui ai répondu : mais je ne serai jamais en rythme !

C’est une grande liberté, presque jouissive par rapport à un texte, là si j’ai un trou je fais lalala… C’est la joie de vivre… Ces répétitions ont été formidables.

Quelle place occupe la scénographie et la lumière ?

La place qu’elles occupent est énorme. Laurent Béal, c’est mon Dieu. Le décor de Catherine Bluwal nous accompagne. Tous les deux nous habillent dans une robe sur mesure et qui nous met en valeur. La scénographie est essentielle, un acteur n’est rien sans elle. Quelqu’un qui écoute et quelqu’un qui parle c’est déjà du théâtre disait Peter Brook. Bien sûr l’acteur et le texte c’est génial déjà, mais si en plus on est entouré, aimé par un décor et un éclairagiste, on a moins peur. La lumière devient votre amie.

Vous avez travaillé avec une chorégraphe. Pourquoi ce choix ?

Je connaissais déjà Caroline Roëlands. Je l’aime énormément. Elle est extrêmement douce et moi, je crois à la douceur, je crois qu’on travaille mieux dans la bonté. Le fait est que j’avais peur, il nous fallait donc quelqu’un qui me regarde avec beaucoup de gentillesse. Le peu de pas que j’esquisse sur scène, ce sont des petits pas qui me correspondent. Pour la chanson de Trenet par exemple, Boum, ça m’a pris des heures et des heures, mais tout à coup, ça donne une légitimité à la chanson.

Il nous fallait quelqu’un pour nous mettre dans l’espace ensemble, Émilie et moi, et pas un metteur en scène. Un metteur en scène nous aurait dirigées et nous ne voulions pas, nous voulions une direction de cabaret, pas une direction d’acteurs. Il ne nous fallait pas quelqu’un d’extérieur pour nous diriger. Au stade où en était Émilie, ça l’aurait bloquée, elle a son univers, sa manière de chanter, de se tenir, de respirer… Si je lui dis quelque chose ça déséquilibre sa propre énergie… Les chansons qu’elles chantent, elles viennent d’elle et on ne peut pas lui dire : là tu devrais mettre plus d’angoisse, ou plus de légèreté… Je ne peux pas faire ça. Personne ne peut faire ça. Elle est l’unique maîtresse de sa musique et de sa musicalité. C’était impossible un metteur en scène dans ce travail si ténu. Caroline Roëlands nous a énormément aidées. On s’est rencontrées sur Une famille formidable et plus tard, je l’ai engagée sur un spectacle autour de Barbara à la Comédie-Française. Elle sait être professionnelle mais elle ne tape pas sur les doigts, elle nous autorise à tester des choses et de répétitions en répétitions, nous nous sommes abandonnées à faire ce que nous n’avions jamais fait. D’une manière générale je suis pour travailler dans la confiance. Quelqu’un qui vous accompagne, qui vous dit : « refais-le, tu vas y arriver… ». On peut trouver des choses, on peut toujours progresser.

Vous utilisez une marionnette et un pantin dans le spectacle, quels rôles jouent-ils ?

C’est très élaboré une marionnette. J’ai toujours aimé ça. Je ne peux pas expliquer ça. Dans Marie des Poules, il y en a deux alors qu’elles n’existent pas dans le texte, je veux dire que l’auteur n’a pas indiqué la présence de deux marionnettes.

J’ai une fascination pour la marionnette, c’est lié à l’enfance évidemment. La marionnette est une créature. Ça commence avec Pinocchio. L’objet auquel vous donnez un geste, une parole, on peut même parler d’âme, c’est nous qui la faisons vivre et pourtant c’est elle qui a le pouvoir.

J’ai une envie folle d’utiliser encore des marionnettes, c’est la magie. Ça a tous les symboles et à partir du moment où l’on fait arriver un truc qui bouge et en lui donnant une voix : on y croit.

« Je n'aimerais pas manquer à ma promesse d’amour... »

Une confidence ?

L’amour.

Un acte de résistance ?

Le travail.

Un signe particulier ?

Être charmée.

Un message personnel ?

Préférez l’amour à la guerre. Ce qui se passe me choque profondément, nous n’arrivons pas les humains ensemble à nous mettre d’accord pour ne pas faire la guerre, nous n’y arrivons pas. Je ne comprends pas qu’au fond de nous, on ne puisse pas se dire : aimer plutôt que haïr.

Un talent à suivre ?

Beaucoup, beaucoup… Et tous les trésors qu’on a en soi.

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Que j’ai manqué à toutes ces choses auxquelles je prétends m’attacher… J’ai encore beaucoup de progrès à faire là-dessus… Être d’abord humaine. Je n'aimerais pas manquer à ma promesse d’amour.

Vos prochains projets ?

Macbeth. Je ne sais pas encore sous quelle forme. Il y a quelque chose qui me fascine dans Macbeth. Il y a un assassin qui réalise qu’il a du sang sur les mains. La plupart des assassins (Poutine, Hitler, tous ceux qui tuent gratuitement dans la rue) ils ne regardent jamais leurs mains. C'est de la poésie pure que Lady Macbeth veuille enlever les taches qu’elle a sur les mains… C’est mon prochain combat. Comment on se débarrasse du crime ? La scène la plus belle de toutes est souvent coupée par les metteurs en scène. L’Écosse est tellement dans le malheur que son peuple vient chercher le fils du roi et lui dit : « Venez nous sauver, il n’y a que vous qui puissiez rétablir la paix. »
Et le fils du roi répond : « Je suis un salaud, je violerai vos filles, je pillerai vos maisons… »
Et l’autre dit : « Mais on vous donnera de l’argent, on vous fournira des putes… »
À la fin, le fils du roi dit : « ce n’est pas vrai ce que j’ai dit, je ne suis pas comme ça, je suis un agneau. ».
Puis ils regardent les autres et ajoutent : « J’ai l’impression que tu hésites. ».
Alors celui qui mène le peuple d’Écosse lui dit : « Vous m’avez fait un tel tableau de ce que vous êtes capable de faire que je ne crois plus que vous pourriez nous sauver. »
Et le fils du roi répond : « Si tu acceptes ça alors je peux être le roi que tu attends. ».